Le choeur des femmes de Martin Winckler

Le choeur des femmes - Winckler

Je m’appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. Mais on m’oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de  » Médecine de La Femme « , dirigée par un barbu mal dégrossi qui n’est même pas gynécologue, mais généraliste! S’il s’imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement. Qu’est-ce qu’il croit? Qu’il va m’enseigner mon métier? J’ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. Alors, je ne peux pas – et je ne veux pas – perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur coeur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu’elles pourraient m’apprendre

Première phrase : « Qu’est-ce qu’on m’avait raconté déjà ?

Edition : P.O.L

Nombre de pages : 601

Mon avis :

Premier livre de l’année et découverte magnifique. J’ai avalé les 600 pages en 3 jours, et je me réveillais le matin avec le souvenir du moment où je m’étais arrêtée. Vraiment, un énorme coup de cœur. Je vais essayer d’expliquer pourquoi j’ai tant aimé, mais ce n’est jamais évident.

Nous suivons Jean Atwood, prononcez Djinn, une interne brillante et arrogante pour qui l’important est d’être en salle d’opération, point barre. Mais pour finir son internat, elle doit passer dans le service « Médecine de la femme » de l’hôpital où elle travaille. Service dirigé par le docteur Franz Karma, un médecin à l’écoute ses patientes, qui ne suit pas les dogmes enseignés en fac de médecine et utilise des méthodes peu orthodoxes, et qui est d’une humilité incroyable. Alors passer six mois dans le service de ce médecin, généraliste et même pas gynécologue, à écouter des « bonnes femmes » parler de leurs soucis, ça ne lui plaît pas du tout.

Evidemment, il va y avoir une évolution dans le comportement de Djinn, ça on s’en doute, de plus on sent qu’il y a un secret dans le choix de la spécialisation de Djinn, un secret personnel qui se dévoile peu à peu, mais au final, ce n’est pas tout ça l’important même si ça porte bien le récit et que ça nous pousse à continuer, en tous cas une curieuse comme moi.

L’important c’est les consultations que l’on suit, les apprentissages que l’on fait, ce que l’on apprend sur la médecine française et étrangère, les éclairages que ce livre nous apporte sur des pratiques gynécologiques…

Ce récit polyphonique mêle la voix de Jean, de patientes, d’infirmières, de secrétaires… On a tour à tour le regard des uns sur les autres. Chaque personnage possède un style bien particulier, Jean est très crue, elle a un parler relativement oral et un ton mordant qui donne une bonne impulsion au roman ainsi que son côté amusant. Les patientes sont tour à tour désespérées, angoissées, déterminées, curieuses… Mais cela ne tombe jamais dans le pathos.

A travers les prises de position du docteur Karma, l’auteur-médecin fait passer ses convictions et transforme ce roman en manifeste pour une médecine plus psychologique et plus proche des patients : « Tu ne soignes pas des résultats d’analyses, tu soignes des personnes » ; « c’est aux professionnels d’adapter leur savoir-faire aux patientes, et pas l’inverse » ; « Beaucoup de médecin pensent que ‘si c’est pour le bien des patientes’, la douleur est justifiée. Aucune douleur n’est justifiée. Jamais. Et la moindre des choses pour un soignant, est de toute mettre en œuvre pour ne pas faire mal ».

Il met l’accent sur l’absence de formation au dialogue, à la communication, à l’écoute du patient dans l’apprentissage français de la médecine, et montre que les étudiants sont totalement formatés à une étude clinique : « je parle de la manière dont les patrons à qui vous avez eu affaire vous ont déformé pour vous transformer en robots ! » Ce côté très engagé peu certainement faire un peu peur, car il ne prend pas de gant et est assez virulent, et c’est ce qui m’a plu car j’ai une petite connaissance personnelle de ce monde médical et ce livre est arrivé particulièrement au bon moment en ce qui me concerne. Surtout qu’il fait passer ses convictions par des personnages, personnages qui sont plein d’émotions, qui pleurent, se mettent en colère, ne mâchent pas leur mot, et c’est ça aussi qui donne un ton si entraînant et si dynamique à ce roman.

Il critique également grandement les laboratoires pharmaceutiques et leur stratégie marketing importante auprès des médecins et autres professionnels de la santé, leur manière de faire, etc.

Un petit avis sur la fin, qui nous emmène très (trop ?) loin et qui nous plonge dans une histoire de famille assez alambiquée, je reconnais que c’est un peu tiré par les cheveux, mais j’ai tellement aimé ce livre, que ça ne m’a absolument pas dérangée, j’étais tellement attachée à Djinn que je voulais continuer un bout d’histoire avec elle, en savoir plus sur elle, quitte à ce que ça soit rocambolesque. J’espérai que des pages apparaîtraient par magie pour que ce livre ne finisse jamais… Et c’est à mon sens le plus beau compliment que l’on peut faire à un livre.

Au final, je pense que c’est un livre que tout le monde devrait lire : les médecins pour se remettre en question (et certains en auraient bien besoin), les femmes pour savoir ce qu’elles doivent attendre et ce qu’elles peuvent exiger ou refuser à leur gynécologue (ce n’est pas toujours facile de s’opposer à un Médecin avec un grand M, et ce livre en donne le courage), les hommes pour connaître un peu mieux les problèmes auxquels les femmes peuvent être soumises. J’espère que j’ai réussi à faire transparaître tout ce qui m’a plu dans ce roman en tous cas, et que je vous donne envie de le lire, car vraiment, il est à découvrir. 

« D’abord, ce n’est pas ‘faux’, c’est ce que [cette femme] ressent. Son interprétation n’est peut-être pas conforme aux acquis de la science, mais elle lui permet d’appréhender la situation d’une manière intelligible, de ne pas se laisser gagner par la panique. Notre boulot ce n’est pas de lui dire que ce qu’elle ressent est ‘vrai’ ou ‘faux’ mais de chercher pour son bénéfice et avec son aide, ce que ça signifie. »

21 réflexions sur “Le choeur des femmes de Martin Winckler

  1. Je suis ravie de ton appréciation de ce roman, c’est effectivement une lecture qui ne nous laisse pas intactes (le féminin est volontaire). Toi qui a lu aussi Baptiste Beaulieu, aussi médecin (comme Martin Winkler), tu y as sans doute trouvé le même humanisme, le même souci de l’écoute humaine plutôt que le soin froid et purement “médical”, mais Martin Winkler nous touche plus intimement, nous donne envie de prendre les armes, de défendre chaque femme en fragilité dans le cabinet du médecin. Bien sûr ça fait écho différemment chez chacune de nous, et sans doute davantage encore quand on a eu un enfant. Surtout ne pas aller lire les récits d’accouchement qui sont nombreux sur le net, ça donne tellement souvent envie d’hurler. Martin Winkler est ce porte voix. Merci à lui !
    Aller, j’arrête là, bonnes lectures, plus légères peut-être pour respirer !

  2. Oh, moi aussi j’ai vraiment beaucoup aimé ce roman ! Je l’ai trouvé si humain, si touchant, et j’ai été sensible à la manière dont il abordait tous ces thèmes très féminins…

    • Oui c’est vrai qu’il y a ce point que je n’ai pas abordé directement, mais il parle si bien du corps féminin, il arrive à nous faire voir les choses d’une façon différente, plus poétique je trouve. Ralala, il est décidément très fort ce Martin Winckler !

  3. J’ai beaucoup aimé ce livre aussi ! Recommandé par une amie je me suis laissée prendre au jeu ! Il va falloir que je trouve les autres livres de l’auteur histoire de voir ce que ça donne !

  4. Tiens je suis contente que tu aies aimé ce livre, moi aussi ça a été une petite révélation pour moi il y a quelques mois, j’avais du mal à le lâcher !
    En plus, il trait d’un thème pas facile et donc pas très courant dans les romans..
    Comme d’habitude, ça m’a aussi donné envie de lire les autres livres de l’auteur.

    • Anouuuu ! Je suis ravie de te revoir ! Et c’est ça que j’ai oublié dans l’article, te remercier de m’avoir poussé à lire ce livre ! Donc je le fais maintenant : merci beaucoup beaucoup ! Ça m’a fait un bien fou de le lire, il est tombé au parfait moment de ma vie personnelle 🙂
      Pareil ! En plus j’ai vu que ses autres livres parlaient du Docteur Sachs qui est évoqué dans ce roman… Mais je vais faire une pause avant, sinon je vais être remontée comme une pendule sur cette cause, déjà que je suis toute retournée quand j’en parle là ^^
      Des bisous !

  5. Flûte !! Revenir sur ton blog va me faire du mal Elinor !! Avec une chronique comme celle-ci, tu vas toutes nous convertir à un certain féminisme aigu ! 😉 Mais en tout cas, ce livre a l’air génial et ta chronique hyper enthousiaste (si si, tu as certainement réussi ta mission) me convaincs ! Je sauterais sur ce bouquin à la première occasion.
    Bisouuuus

    • Ahaha, j’en suis mais tellemeeeent désolée… 😀
      Plus sérieusement, je pense vraiment que chaque femme devrait le lire pour être un peu armée face à des médecins qui peuvent parfois être un peu désagréables ou autres. Tu me diras ce que tu en as pensé ! Je suis très heureuse d’arriver à donner envie de le lire 🙂

  6. Bon, je crois qu’avec un avis pareil, je n’ai plus le choix de me jeter dessus à mon retour ! Justement, je parlais récemment avec une de mes amies de la problématique de la relation des femmes avec leur gynéco, et de la façon dont elles sont informées, ça m’intéressera beaucoup de lire sur ce thème, je pense 🙂

    • Ah bah ça c’est sûr que c’est un gros problème… J’hésitais à changer et après avoir lu ce livre je n’ai plus de doute ^^ Mon critère de sélection ça sera un truc du genre « vous avez lu Le choeur des femmes ? Vous êtes d’accord avec l’auteur ? Non, ah bah au revoir ! 😀 » Et sinon plus sérieusement, on apprend des choses révoltantes dans ce livre sur certaines pratiques de quelques gynécologues qui sont assez répendues, comme le refus de poser un DIU (stérilet) a une femme sans enfant, il n’y a strictement rien qui l’interdit, c’est juste lié à une raisonnement archaïque et pas du tout scientifique… Enfin bref, j’ai hâte d’avoir ton avis :p

      • Ah bah justement, c’est de ça qu’on parlait (entre autres) ! Il y a beaucoup de gynécos qui sont contre la pose de stérilet avant d’avoir eu des enfants, et c’est complètement stupide, ils préfèrent nous filer des kilos d’hormones à tout va, berk. Je trouve qu’on est globalement mal informées… Mais bref, je laisse la féministe convaincue en moi au placard pour le moment, sinon je ne m’arrête plus XD

        • Ahaha, ce livre va te plaire vu ce que tu dis, et tu vas ressortir encore plus remontée que déjà xD (d’ailleurs tu sais que le mot stérilet a été inventé par je ne sais plus qui, l’église sûrement, parce que soit disant ça rendait stérile d’en mettre un…)

  7. Bon et bien c’est vendu, et ça tombe bien, il est disponible à la bibliothèque.

    Je reviendrai t’embêter lorsque je l’aurai lu. En tout cas ta chronique est très efficace, et je ne sais pas si les extraits que tu cites sont très représentatifs du texte, mais ils donnent une bonne idée du côté prise de conscience / engagement de l’auteur. ça promet !

    • Mwahahah, avoue, t’es plus aussi contente que je reprenne du service côté blog en fait, je vais te harceler pour trop de livres :p
      J’ai choisi des extraits justement assez représentatifs oui, pour bien montrer le côté engagé du texte. J’ai hâte que tu viennes m’embêter en tous cas ! 😉

  8. coucou
    j’ai eu le même ressenti que toi en lisant ce livre, il est fabuleux et je dirais que chaque femme rêverait d’avoir un médecin pareil. 😉

    • Aaah, je suis contente de lire ça ! J’ai été voir quelques chroniques de blog et je ne les avais pas trouvé assez enthousiasme à mon goût :p Après je pense que c’est un livre qu’on appréhende sûrement pas de la même manière selon notre vécu.
      Merci de ton passage ! 🙂

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